Illectronisme, tour d’horizon en 2020

Le 29 avril 2020

Anne BARRÉ

Dans le monde d’aujourd’hui, et pas seulement celui du travail, la place du numérique est grandissante et le confinement nous montre combien il est désormais nécessaire de maitriser les outils informatiques. Ce processus ne fera que s’amplifier et souffrir d’illectronisme s’apparente désormais à souffrir d’illettrisme. En effet, la fracture numérique n’est pas seulement un handicap professionnel, c’est aussi  une vraie fracture sociale. Alors, l’illectronisme, qu’est – ce précisément ? Quelle réalité derrière ce nouveau mot ? Quels enjeux ? Et surtout, quelles solutions ?

L’illectronisme (ou illettrisme numérique) est un mot valise formé à partir d’illetrisme et d’électronique en référence large aux nouvelles technologies (électronique mais aussi et surtout numérique). Ce mot désigne  donc l’incapacité ou la difficulté pour une personne à utiliser les appareils numériques, les outils informatiques ou encore l’Internet.

Un phénomène suivi de près

 Selon une enquête de France 3 Régions de 2019, un quart des français disent ne pas se sentir à l’aise avec Internet et 19 % sont qualifiés « d’abandonnistes » c’est-à-dire qu’ils renoncent  à toute démarche sur Internet en raison de la difficulté que cela représente à leurs yeux. Parmi ces derniers, 50 % se disent exclus ou en décalage avec la Société.

C’est pour cette raison que l’illectronisme est suivi de près par les statisticiens car il s’agit d’un enjeu sociétal.  Ainsi nous disposons d’études harmonisées au niveau européen qui définissent des critères communs. Pour Eurostat, ce handicap s’évalue selon 4 critères : la recherche d’information, la communication, l’utilisation de logiciel et la résolution de problèmes.

L’étude annuelle 2019 de l’INSEE  dite TIC ménages  (enquête sur les technologies de l’information et de la communication des ménages) nous révèle que 38 % des usagers d’Internet manque d’au moins une compétence définie ci – dessus par Eurostat et 2 % n’en ont aucune.

L’illectronisme se confond très souvent avec le manque de maitrise d’Internet ainsi est – il important de se pencher sur les taux  de non- équipement des français.

Illectronisme et accès à l’Internet

 12 % des personnes interrogées n’ont aucun accès à Internet (ni ordinateur, ni tablette, ni portable).  Sans surprise, une majorité d’entre eux sont des personnes âgées (53 %). Mais l’étude révèle aussi que ce sont : des personnes peu ou pas diplômées (34 %), des personnes à faibles revenus ou en situation difficile comme les jeunes et les chômeurs bien sûr, mais plus surprenant, on trouve aussi des personnes seules pour presque 30 % d’entre elles et des couples sans enfants pour  14 %. Ces derniers chiffres s’expliquent sans doute par la pression des enfants sur les parents pour acquérir au moins un objet connecté.

A noter que certaines personnes (6%), se contentent d’un accès hors domicile (travail, famille etc.).

Le frein à l’équipement est, pour 41 %, le manque de compétence, pour 32 % le coût du matériel ou les coûts de l’abonnement, mais la préservation de la vie privée est aussi invoquée.

A l’opposé, seuls 2 % des 15 – 29 ans, 3 % des diplômés, 4 % des ménages les plus aisés ne sont pas équipés.

Équipement et non – usage vont généralement de pair. Toutefois,  6 % des personnes équipés n’utilisent pas Internet. Et, à l’inverse 2 % des personnes qui ne sont pas connectées chez elles surfent régulièrement.

Par ailleurs, si on entend parfois certains usagers se plaindre d’habiter en zone blanche ou sur une zone couverte uniquement par le bas – débit, cet inconvénient n’est pas un marqueur majeur de l’illectronisme puisque le taux de couverture en équipement  est sensiblement égal sur tous les territoires français. En effet, le non – équipement en zone rurale ou unités urbaines de moins de 10 000 habitants est de 13 %, en unités urbaines de 10 000 à 1 999 999 habitants de 12 % et pour l’agglomération parisienne de 8 %.

Un bémol toutefois dans les  DOM (hors Mayotte) puisque si le taux de non – équipement n’est pas si éloigné de celui de la métropole (respectivement  19 % et 12 %), le non – usage d’Internet dans les DOM est supérieur de  25 % à celui de la France métropolitaine.

L’usage d’Internet en progression

L’enquête de l’INSEE étant annuelle depuis 2007, il est intéressant de comparer quelques chiffres depuis 10 ans. Par exemple, 71 % des personnes utilisent quotidiennement Internet soit  24 % de plus qu’en 2009. Les personnes âgées de plus de 75 ans ont, elles aussi, suivi le mouvement : de 5 % en 2009 elles sont passées à 19 %  en 2019.

Les personnes âgées ne semblent décidément s’accrocher puisque selon l’enquête de France 3 Régions cette fois, elles sont 63 % à posséder un ordinateur et 34 % un Smartphone.

Et seuls 27 % des plus de 60 ans n’utilisent pas Internet. C’est 42 % pour les plus de 80 ans.

Cerner le phénomène

Toujours selon l’enquête annuelle de l’INSEE,  38 % des usagers d’Internet manquent d’au moins une des 4 compétences définies : 35 % ne savent pas faire usage d’un logiciel, 11 % ne savent pas faire une recherche sur Internet, 8 % ne savent pas résoudre un problème lié à l’usage de l’informatique et enfin 7 % ne savent pas communiquer (envoyer un e – mail  communication etc.). 2 % n’ont aucune compétence.

35 % des usagers d’Internet ne savent pas utiliser un traitement de texte et faire un CV ou une lettre de motivation. Dont 8 % qui ne savent pas effectuer une tache informatique simple (ex : déplacer un fichier, installer un  programme ou consulter un compte bancaire)

Objectif 2022

Comme on vient de le voir, près d’un quart des français ne se sentent pas à l’aise avec Internet, ce n’est donc pas un phénomène à prendre à la légère d’autant que le numérique est désormais partout dans notre Société et notre quotidien. On pense aux loisirs bien sûr, mais pas uniquement. Faire des achats, prendre un rendez – vous chez le médecin, s’informer, effectuer une démarche administrative comme déclarer ses impôts, inscrire ses enfants à la cantine, chercher un emploi, contacter son assurance, consulter ses comptes, recevoir des analyses médicales, signer un contrat avec son fournisseur de gaz, et la liste est très longue encore sur les tâches désormais à accomplir obligatoirement ou fortement recommandées sur Internet

Pourtant le temps presse. En effet, les services publics ont pour objectif la dématérialisation des procédures pour 2022, autrement dit demain. Et certains services ont déjà pris de l’avance, par exemple, les demandes de RSA se font déjà exclusivement par Internet, ce qui peu être problématique pour les publics en difficulté qu’elles touchent. D’autres services lui emboitent déjà le pas : pôle emploi, les demandes de passeports etc. Toutes les administrations s’organisent, notre rapport aux services publics devrait fondamentalement évoluer très rapidement.  

Se confronter à la « Bête » est désormais incontournable mais les blocages, à un moment ou à un autre, sont nombreux. On veut remplir un formulaire en ligne mais il manque un champ. Ou alors il est nécessaire de télécharger un logiciel au préalable. Et une fois fini, le message a – t – il été bien envoyé … et reçu ? Ne risque- t – on pas d’être victime de pirates ? Ne va – t – on pas payer trop d’impôts  en raison d’une erreur d’interprétation ? Les textes administratifs étant déjà difficiles à comprendre, le stress dû à l’exercice en ligne ne fait qu’ajouter à la panique ! Et le handicap se surajoute au handicap quand, en plus, la personne n’est pas non plus à l’aise à l’écrit !

Des solutions existent !

Nouvelles technologies, nouveaux métiers ! Avec l’émergence d’Internet le besoin d’accompagnement des publics s’est fait grandement sentir et une foule de nouveaux métiers sont apparus : animateur multimédia, médiateur numérique, chargé de mission à l’inclusion numérique. On ne peut pas dire qu’autorités et particuliers ne se soient pas saisis du problème ! Les collectivités publiques, l’État, les associations, les centres de formations, les maisons de quartier etc. nombreux sont ceux qui proposent par le biais de salariés ou de bénévoles de venir en aide à ceux qui en ont besoin.

Former est essentiel mais comme le rappelle cette animatrice salariée de la région Bretagne : «  50 % de mon travail consiste à rassurer ». La dimension humaine face à la machine reste fondamentale. Car si la compétence s’acquiert, elle est souvent considérée comme hors de portée par ces fameux « abandonnistes » principalement pour des raisons psychologiques.

Après avoir rassuré le demandeur, lui avoir appris à être vigilant sur Internet et enseigné les bonnes pratiques, le rôle du formateur est aussi de détecter ses besoins. « Il faut développer des compétences socialement utiles à la personne » souligne Antoine Potier de la Fédération des centres sociaux de Bretagne. En effet, pourquoi lui  enseigner à se servir de Excel *si elle n’a besoin que de communiquer avec sa famille et ses amis. Savoir manier Whatsapp**  lui suffira. Mais justement, si la personne sait déjà utiliser de Whatsapp, pourquoi ne pas se servir de cette confiance pour aller plus loin et démystifier,  dédramatiser, la pratique de la déclaration d’impôts en ligne ? Tous les ressorts sont bons pour faire progresser l’apprentissage.

Développer l’accessibilité

L’accessibilité à un ordinateur ou à  Internet est aussi un enjeu de la lutte contre l’illectronisme. Outre les ateliers dans les centres sociaux ou permanences les associations qui proposent un encadrement, l’accès libre à des terminaux se développent aussi dans les médiathèques,  maisons de quartier,  cybercafés,  certaines mairies. Mais aussi dans les administrations où les procédures dématérialisées sont devenues obligatoires : les  pôles emplois et centres des impôts par exemple.

Par ailleurs certains organismes vont plus loin. A l’instar des tarifs sociaux de l’énergie on trouve aussi des tarifs sociaux Internet. Par exemple, en habitat social à Brest, 1€ 18 est prélevé par mois avec le loyer.

Built2Build s’engage !

C’est en partant du constat  de cette fracture numérique qu’est né Built2Build. Une association tournée vers la vulgarisation du numérique et la professionnalisation des métiers qui lui sont liés. La plupart des enfants à travers l’école ou par leurs amis baignent dans la culture numérique et apprennent vite. Pour les adultes, c’est plus compliqué. Moins agiles et moins familiers, ils hésitent parfois  ne sachant pas toujours par où commencer ni à qui s’adresser.

 Built2Build a choisi de s’adresser à tous les publics et pas seulement aux personnes âgées pour mettre notamment en place des ponts générationnels. Pour que ceux qui « savent » transmettent à ceux qui en ont besoin. Built2Build s’adresse à tous les jeunes de 6 à 106 ans. Par les ateliers Scratch d’initiation au codage dès 6 ans mais aussi par l’accompagnement des jeunes adultes en formation vers les métiers du numérique. Par des ateliers ludiques autour du gaming mais aussi par la mise en place d’une permanence numérique le samedi après – midi tous les 15 jours.

 Et l’association ne compte pas s’arrêter là. En préparation, dans les mois à venir, de nouveaux ateliers comme par exemple la création de BD numériques ou la création de logos seront proposés. Car Built2Build s’efforce de donner une palette la plus large possible d’opportunités vers un monde digital toujours plus accessible.

*Excel : tableur : logiciel permettant de traiter des informations (principalement des chiffres) sous forme de tableau (feuille de calcul). Ainsi peut on par exemple appliquer des formules de calcul, générer des statistiques etc.

**Whatsapp : application de messagerie mobile pour Smartphone. Elle permet d’envoyer des messages, des images ou des petites vidéos instantanément.

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